Les trois petits cochons

Mémoire de validation du séminaire de Madame "Histoire des Contes" Ecoles des hautes Etudes en Sciences Sociales (année universitaire 2007-2008)
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Origine de l'histoire
Les Trois Petits Cochons est un conte anonyme du folklore anglo-saxon (Three Little Pigs) datant du XVIII e siècle, bien que son origine puisse remonter plus loin. Il met en scène trois jeunes cochons et un loup. Une des premières versions imprimées des Trois Petits Cochons se trouve dans Nursery Rhymes and Nursery Tales de James Orchard Halliwell-Phillips ("rimes et contes de fées de chambres d'enfant", 1843)
. L'histoire apparaît également dans English Fairy Tales (" contes de fées anglais ", 1898) de Joseph Jacobs, qui cite Halliwell-Phillips comme sa source. La popularité de ce conte et sa grande diffusion sont peut-être à mettre en relation avec l'adaptation en dessin animé faite par les studios Disney en 1933.
Classification
Dans la classification internationale Aarne-Thompson, ce conte est classé dans catégorie des contes d'animaux [Contes qui mettent en scène exclusivement des animaux (1 à 299)]. La plupart de ces contes oppose un (ou des) personnage(s) faible(s) mais rusé(s) à un (ou des) autre(s) plus fort(s). Le plus puissant est toujours floué ou ridiculisé par son adversaire rusé.
En France, cinquante et une versions de ce conte sont répertoriées dans Le conte populaire français, catalogue raisonné des contes de Paul Delarue et Marie-Louise Ténèze. Dans le tome 3, c'est Les animaux dans leurs petites maisons (p. 165 - 171) appellation qui regroupe Le conte de la treue (truie), conte numéro 25, et Les petites oies, conte numéro 26. Le conte type T. 124 était peu répandu vers 1900 en dehors de nos frontières. La première mention écrite en langue anglaise est celle de Halliwel-Phillips (cf. ci-dessus).
L'histoire (version originale)
Les trois petits cochons veulent vivre leur vie et quittent le foyer familial pour tenter leur chance dans le monde. Le premier petit cochon se construit une maison de paille, rapidement faite. Le deuxième petit cochon se construit une maison faite de brindilles (ou de fagot d'épines ou de bois), qui est plus solide que celle de paille, mais uniquement en apparence. Le troisième petit cochon quant à lui se construit une maison de briques et de ciment. Le loup parvient à détruire les maisons des deux premiers petits cochons en soufflant dessus (ou en pêtant selon diverses versions populaires françaises ) et à les dévorer. Par contre, il est impuissant contre celle du troisième petit cochon. Afin d'attirer le petit cochon hors de sa maison, il lui donne alors rendez-vous le lendemain matin, sous prétexte de l'accompagner jusqu'à un champ de beaux navets (ou de belles carottes). Mais le petit cochon se lève plus tôt pour les ramasser. Quand le loup frappe à sa porte, les navets sont déjà cuits. La même scène se déroule le lendemain, mais il s'agit cette fois de belles pommes. Le loup lui propose alors de l'accompagner à la foire du village. Le petit cochon s'y rend plus tôt, se cache dans une baratte et dévale la pente devant le loup effrayé qui s'enfuit. De retour devant la maison, le loup, fou furieux, grimpe sur le toit, passe par la cheminée et tombe dans la marmite d'eau bouillante. Le petit cochon mange alors le loup, et mène sa propre vie, tranquillement.

Autres versions
Dans d'autres versions plus récentes, les deux premiers petits cochons survivent ; le loup détruit d'abord la maison de paille en soufflant dessus, et le premier petit cochon s'enfuit pour se réfugier dans la maison de bois de son frère. À nouveau, le loup détruit la maison de bois en soufflant dessus. Les deux petits cochons s'enfuient et se réfugient dans la maison de briques de leur troisième frère. Cette fois, le loup a beau souffler, il ne parvient pas à détruire la maison. Furieux, il s'éloigne et revient quelques jours plus tard, décidé à attraper les trois petits cochons en entrant par la cheminée de la maison. Les petits cochons l'ont vu venir, et le troisième petit cochon, qui est le plus malin, place une marmite d'eau bouillante dans la cheminée. Le loup tombe dans la marmite et se brûle si fort qu'il repart par la cheminée et ne revient plus jamais. C'est cette version édulcorée qui a été retenue par les studios Disney. L'épisode des trois expéditions hors de la maison est, selon les versions, conservé ou supprimé. Dans la version de la collection " les Albums du Père Castor ", l'une des plus courantes en France aujourd'hui, trois petits cochons s'ennuient à la ferme et décident de se construire leurs propres maisons. La suite du conte se déroule comme précédemment.
Une version de l'Italie du Nord (Lombardie) rapportée par Italo Calvino fait état de 3 sœurs . En voici le résumé :
Une mère meurt après avoir conseillé à ses trois filles d'aller demander à leurs oncles de leur bâtir trois maisons. Catherine, l'aînée, demande à l'oncle fabriquant de nattes une maison en nattes. Julie, la seconde, demande à l'oncle menuisier une maison en bois. Marinette, la plus jeune, demande à l'oncle forgeron une maison en fer.
Le loup se jette sur la maison de nattes et mange Catherine, puis sur la maison de bois et mange Julie. Sur la maison de fer, il se casse l'épaule. Le forgeron lui répare l'épaule. Ruse du loup qui invite Marinette à aller chercher des pois chiches. Marinette y court avant le loup. Le loup l'invite à aller chercher des lupins. Le loup l'y surprend. Elle se cache dans une courge. Le loup apporte la courge contenant Marinette à la maison de Marinette. Dans la maison, Marinette nargue le loup qui a été berné. Le loup se cogne la tête contre les murs de fer. Il essaye de descendre dans la cheminée. Il tombe dans le chaudron où il est cuit.
Dans la tradition, d'autres versions mettent en scène 3 animaux, pas toujours de la même espèce (jars, coq et truie) qui ont pour tâche de se défendre contre le loup en se construisant chacun une maison de qualité croissante : une en paille, l'autre en bois (ajoncs ou ronces), la troisième en brique, pierre ou fer. Seule la troisième résistera à l'attaque du loup. Deux déroulements possibles :
- ou bien les deux premiers animaux se réfugient chez le troisième et sont sauvés,
- ou bien ils sont l'un après l'autre dévorés par le loup.

Brève approche de la symbolique de ce conte et de son interprétation psychanalytique
Ce conte est très apprécié par les petits d'âge d'école maternelle. Sa structure simple et répétitive les charme. L'allusion à l'autonomie et à la maison (qui la représente) leur plait énormément, c'est une thématique (la maison) qui leur est chère. On peut même s'étonner que les petits citadins ne posent aucune question sur ce que sont la paille, le bois et la brique, alors qu'il semble peu probable qu'ils (enfants de 3-4 ans) aient tous vus de la paille ou des briques. Ils se réjouissent d'avance à l'idée des maisons soufflées, à la dévoration des 2 premiers cochons puis à celle du loup. Les séquences des trois ruses du loup sont aussi appréciées.
Voici l'interprétation symbolique qu'en fait Marie-Louise Tenèze dans le tome 3 du Conte Populaire Français :

Si la maison, c'est l'intérieur, opposé à la forêt qui est l'extérieur, l'animal domestique y a par définition sa place ; vérité que renforcent certains de nos contes en donnant à l'animal domestique le sexe féminin : c'est la mère chèvre du T. 123, ou la mère gorette du T. 124, cette petite mère que des versions se plaisent à nous montrer occupée à des activités domestiques : cuisson ou lessive notamment. A l'opposé le loup, c'est celui qui ne va pas au-delà de la velléité, vite abandonnée, de faire cuire sa viande (…) et que tant de contes montrent, omnivore parfois par nécessité, mais amateur par excellence de chair animale crue (…). Lui qui ne sait pas et ne veut pas faire cuire, le châtiment préféré que chevrette ou gorette lui réservent, c'est d'être cuit ou, à tout le moins et plus souvent, ébouillanté. […]
La maison opposée au monde sauvage, c'est aussi la chaleur du foyer, la chaleur humaine opposée au froid extérieur, au froid de la nature. Bien des versions ainsi des T. 123 et 124 montrent le loup demandant à entrer pour pouvoir se chauffer
.[les notes de bas de page sont tirées de l'ouvrage coté]

L'interprétation la plus évidente de ce conte est celle de la préparation personnelle face aux adversités, symbolisées par le loup. Le loup, connoté négativement depuis le Moyen-Âge (" le grand méchant loup "), peut quant à lui symboliser tout ce qui fait peur à l'enfant : peur de grandir, peur d'être dévoré, peur de l'étranger, peur d'être dans la pénombre, peur d'être puni, d'être kidnappé, etc… ce qui a fait le bonheur des psychanalystes.

Celle faite par Bruno Bettelheim dans son célèbre ouvrage Psychanalyse des contes de fées est sans doute la plus connue. Il interprète ce conte (version traditionnelle avec la tentation des carottes ou navets, pommes et foire) comme étant Principe de plaisir contre principe de réalité. Selon lui il apprend à l'enfant que nous ne devons pas être paresseux ni prendre les choses à la légère, faute de quoi nous pouvons perdre la vie . Bettelheim compare ce conte à la fable d'Esope La cigale et la fourmi tout à fait comparable, mais ouvertement moralisatrice . Le conte de fées […] nous laisse tout le soin de la décision et nous incite et ne nous incite même pas à la prendre. C'est à nous de décider si nous l'appliquons à notre vie ou si nous nous contentons d'apprécier les événements qu'il nous raconte . En s'identifiant avec les petits cochons, l'enfant apprend qu'une évolution est possible, que l'on peut passer du principe de plaisir au principe de réalité qui, après tout, n'est qu'une modification du premier .
Pour Bettelheim, la fin n'est que justice : celui qui a dévoré se retrouve dévoré. L'enfant […] apprend que, en développant son intelligence, il peut venir à bout d'adversaires plus forts que lui . La méchanceté du loup est quelque chose que le jeune enfant reconnaît en lui-même : son envie de manger goulûment […]. Le loup est ainsi une personnification, une projection de la méchanceté de l'enfant […] .
Au sujet des identifications dans ce conte :

Comme les trois petits cochons représentent les diverses étapes du développement humain, la disparition des deux premiers n'a rien de traumatisant ; l'enfant, dans son subconscient, comprend que nous devons passer par différentes formes précoces d'existence avant de parvenir aux formes supérieures. Quand on raconte Les Trois Petits Cochons à de jeunes enfants, ceux-ci ne se réjouissent que de la punition méritée du loup et de la victoire intelligente de l'aîné, et ils n'ont aucun chagrin au sujet du sort des deux plus jeunes. L'enfant, même tout petit, semble comprendre que les trois héros ne sont qu'un seul et même personnage à trois stades différents de sa vie […]


En s'identifiant aux petits cochons, l'enfant se rend compte qu'une évolution est possible. En termes freudiens, Bettelheim explique que le conte montre le progrès qui va de la personnalité dominée par le ça, à une personnalité influencée par le surmoi, mais surtout contrôlée par le moi .
Pour mieux comprendre le processus d'identification,

L'identification est un acte de création psychique indispensable à la construction de l'individu. En se différenciant des autres tout en les imitant, l'enfant dans sa deuxième année commence à humaniser vraiment. Jusqu'alors, il était nourri, lavé, habillé par s maman. […] il voudra expérimenter ces pratiques dans la vraie vie et " faire tout seul ", début d'une nouvelle étape d'individuation.
Retrouver sur un écran ou dans une histoire racontée par les parents, des personnages qui agissent comme lui, le met en joie et le sécurise.

Voici donc une tentative d'explication à l'attrait de ce conte pour les enfants.

Pourquoi étudier les adaptations d'un conte dans la littérature de jeunesse ?
Nous allons maintenant explorer l'exploitation qui a été faite de ce conte dans la littérature de jeunesse, principalement dans les albums. Cette étude portera sur la structure narrative et sur les illustrations, en parcourant les adaptations classiques et détournées. Nous verrons ensuite que le personnage du " cochon ", au sens premier du terme, est très présent dans la littérature de jeunesse actuelle. Je n'évoquerai pas le personnage du " loup " qui est lui encore plus exploité que ce soit dans les contes traditionnels (Le Petit Chaperon Rouge et autres versions d'autres pays), les détournements ou les parodies (cf. Geoffroy de Pennard, Catherine Storr, Colin Mc Naughton, Sylvie Poillevé), ou les recueils (dix contes de loups de J. F. Bladé, Le grand méchant livre du loup aux Editions Bayard, Petites histoires pour rire du loup aux éditions Albin Michel Jeunesse) et les créations (Loulou de Grégoire Solotareff).
Quel intérêt présente l'adaptation d'un conte sous forme de livre pour la jeunesse ? La romancière et critique en littérature Alison Lurie explique :

Mais, l'illustration si elle nous prive d'un plaisir, nous en apporte un autre. La rencontre d'un artiste talentueux et d'un grand classique de la littérature enfantine est toujours intéressante ; si elle est réussie, l'œuvre sera réinterprétée, on lui donnera non seulement une nouvelle vie mais aussi un sens inédit. Cette œuvre pourrait même, fondamentalement, renaître, tel un phénix de ses cendres.
[…] Le style des illustrations de livres pour enfants est un guide du changement dans chaque génération, mais de la façon dont les adultes les perçoivent ou aimeraient les percevoir.
Des versions imprimées de contes de fées existent depuis plus de trois cents ans, mais les premières contenaient peu ou pas d'images.

Si, comme le dit Alison Lurie, une bonne adaptation d'un conte sous forme de livre pour la jeunesse est enrichissante, certaines adaptations sont malheureusement réductrices en proposant des versions appauvries tant dans la structure du conte que par la médiocrité des illustrations. Un des risque encouru est un effet réducteur sur l'imaginaire enfantin, je pense là à l'invasion " totalitaire " des dessins animés de Walt Disney et à leurs adaptations sous forme de livres. Cette crainte est partagée par les spécialistes de l'imaginaire enfantin :

Des enfants n'ayant connu l'histoire de Blanche-Neige que par le dessin animé ne se réfèrent plus au conte des frère Grimm, mais à Walt Disney. Produit stéréotypé, Blanche-Neige ne fait plus appel au " jeu de représentation individuelle " : les personnages subissent une uniformisation de la représentation - à ne pas confondre avec l'universalité, qui fait partie de leur nature.

Pour compléter cette analyse, l'auteur ajoute :

Le conte propose la souplesse nécessaire pour que chaque enfant s'y adapte en fonction de son niveau de développement psychique. Or, dans le dessin animé, on est en face d'un matériel qui peut occasionner non pas un lien mais une rupture et court-circuiter l'imaginaire de l'enfant en raison du pouvoir des images.

Bien que ces propos portent sur le dessin animé, la validité de ceux-ci pour les livres pour enfants est évidente.

Des exemples d'adaptations
Les albums de jeunesse proposent de nombreuses versions : avec ou sans dévoration des cochons, avec ou sans tentatives complémentaires du loup de piéger le dernier cochon… et des représentations fort différentes. (cf. document Analyse des seize albums.)
L'étude de ces adaptations peut porter sur la structure du récit : choix du sort des deux premiers cochons (sont-ils dévorés ou non ?), du loup (il finit dans la marmite et est mangé ou s'échappe) ; choix des épisodes (la cueillette des navet, des pommes, la foire) ; le temps (les temps) utilisé(s) pour le récit ; l'utilisation de dialogues ; les interventions de l'auteur (le plus marqué étant la version de Floc'h) ; on peut étudier le décalage texte/image et ce qu'il apporte au conte (complément de sens, ouverture sur un débat, mystère...) ; la place, la taille des illustrations et leur rapport avec le texte ; étudier le découpage du récit propre à un illustrateur ; le texte (typographie, texte rimé ou non...) ; la longueur du texte des différentes scènes, les raccourcis utilisés.
Les contes étant issus de la tradition orale, on peut constater que, à partir d'un même texte, les illustrations donnent une tonalité et une interprétation différente au récit cf. les deux versions de Joseph Jacobs, l'une, en format poche, s'adresse à des lecteurs plus âgés que celle contenue dans l'album. Cette distinction est bien liée au style des illustrations et au rapport texte-image, puisque de nombreux livres pour enfants de 3 à 6 ans existent en format poche.
En parcourant le corpus étudié, on constate que les illustrations peuvent être classiques comme celle illustrée par Leslie Brooke, ou bien inscrire l'histoire dans un contexte actuel (comme la version de Tony Ross : Cochon, Cochon et Cie). Elles peuvent aussi introduire un humour qui n'est pas forcément présent dans le texte.
Les couleurs choisies pour les illustrations créent aussi une atmosphère plus ou moins oppressante comme dans la version d'Arnaud Floc'h qui est destinée à des lecteurs plus âgés contrairement à celle illustrée par Jean Claverie, très douce malgré l'aspect induit par la couverture qui peut impressionner.
L'album Les trois petits cochons d'Arnaud Floc'h occupe une place à part car il alterne sans cesse entre modernité et tradition (cohabitation de charrettes et camions, lampe à pétrole et électricité ...) ce qui donne une certaine intemporalité au propos et renforce son universalité (ce qui justifie son analyse avec les autres versions traditionnelles). D'autres pistes d'analyse : s'intéresser aux éléments de l'illustration qui soulignent le caractère des petits cochons, la méchanceté du loup ; le choix des illustrations de couverture ; analyser et comparer l'illustration de présentation et l'illustration de clôture : un même personnage peut subir une évolution au fil des différentes illustrations… ; comparer, entre les différentes versions, les épisodes que les illustrateurs ont choisi de représenter ; comparer les différentes illustrations d'une scène, d'un moment clé ; comparer les représentations physiques des différents protagonistes de l'histoire en fonction de l'interprétation psychologique qu'en fait l'illustrateur (par exemple représentations plus ou moins enfantines des 3 cochons, cf. Claverie, Marshall et Ross) ; comparer les différentes interprétations d'un même personnage, principal ou secondaire, dans les différentes versions du conte (par exemple les personnages fournissant la paille, le bois et les briques, cf. Marshall et Floc'h).

Dans les quatorze versions que j'ai étudié pour ce travail, la cause du départ (de la maison, situation initiale) peut être l'envie de voir du pays (1fois), assez grands pour se bâtir une maison (3 fois), pauvreté de leur mère (6 fois), partir chercher fortune ailleurs (7 fois), mais aussi vertige car habitent au 39ème étage d'une tour (1 fois) et un cas où les cochons se sauvent pour ne pas être tués par le fermier (plusieurs réponses par ouvrage).
Dans tous les cas, nous assistons à la construction des trois maisons.
Les deux premiers petits cochons sont mangés dans dix albums, et se réfugient chez leur frère dans quatre cas.
Dans trois cas, l'histoire ne comprend pas d'épisode décrivant la ruse du loup pour manger à tout prix les cochons.
Les épisodes de la cueillette des navets, pommes et de l'achat de la barate à la foire se retrouvent huit fois (Galdone, Floc'h), avec par six fois une désignation précise du lieu où se déroulent les actions (Jacobs Magnard et Hachette, Kent, Kishida, Brooke, Marshall). Dans un autre cas, il n'y a pas épisode des navets ni de la foire remplacées par la cueillette de raisin qui servira à confectionner une tarte qui sera dégustée en final (tourbillon). Et encore chez Ross, nous ne trouvons que l'épisode des pommes et c'est un pot à lait qui est acheté à la foire.
En ce qui concerne le devenir" du loup, il est ébouillanté et s'enfuit dans quatre cas, et cuit de différentes manières dans dix cas, et dégusté dans neuf cas (dans un cas il est cuit mais on ne précise pas s'il est mangé !).
Selon les albums, les cochons et le loup sont interprétés de manière plus ou moins anthropomorphiques (cochons se déplaçant à quatre pattes ou sur deux pattes, salopettes ou juste tee-shirt opposés à costumes, cravates…) : avec des variantes de costume ou de caractère reliées au choix de matériau de construction (cf. Claverie, Marshall et Ross).

Avatars
Quelques définitions :
Parodie, détournement :
La parodie est une reprise ironique ou dérisoire d'une œuvre, ou d'un genre, qui en caricature les règles, les personnages, les situations ou les stéréotypes. De même que le détournement, la parodie utilise l'inversion, la réduction ou l'amplification, l'anachronisme, les jeux de mots... Elle est très proche du burlesque. Le terme apparaît en France au début du XVIIe siècle.
Pastiche :
C'est un texte qui imite un auteur déterminé en utilisant la même structure littéraire, en reprenant des éléments de contenu et en exagérant les traits spécifiques à son style.
Dans le cas des trois petits cochons, il s'agit le plus souvent des transpositions dans l'espace ou le temps que des pastiches.
Le rire ou le sourire du lecteur est presque toujours l'objectif d'une parodie ou d'un pastiche.
Références, allusions, salades de contes...
Il s'agit d'ouvrages où l'on relève des références à des contes célèbres, ou à des motifs culturels développés dans ces contes, de façon plus ou moins explicite. Pour pouvoir profiter pleinement de ces textes, il est bien sûr indispensable de connaître les textes antérieurs auxquels ils font allusion. L'exemple le plus classique est l'univers créé par Geoffroy de Pennart qui réunit différents personnages de contes et les fait se croiser, se rencontrer, faire évoluer leurs caractéristiques ou leur personnalité...

Les détournements, les parodies
Quelques types de détournements :
- introduction d'un ou plusieurs autres personnages (Les trois cochons de D. Wiesner)
- changement dans le déroulement de l'histoire, introduction d'événements nouveaux ou d'une dimension supplémentaire (Les trois petites cochonnes et Les trois cochons de D. Wiesner);
- inversion des rôles (Les trois petits loups et le grand méchant cochon) ;
- mise à distance du récit par les personnages eux-mêmes (Les trois cochons de D. Wiesner) ;
- changement de point de vue : l'histoire est racontée du point de vue d'un autre personnage (La vérité sur l'affaire des petits cochons : la couverture représente celle d'un journal d'opinion, La gazette du loup : gros titre, photo à la une, article d'amorce d'un journaliste (Jon Scieszka) ayant recueilli les propos de l'accusé ; Le loup est présenté comme l'auteur de l'article: " par L.E. Loup " ; Le texte est de type argumentatif (point de vue ironique du loup) ; Les illustrations renforcent le point de vue du loup).

La parodie ne suit pas la structure du conte. La parodie détourne, voire inverse les éléments du conte (contenu, morale, structure...).
Certains ouvrages se présentent comme des recueils de textes parodiques qui autorisent en eux-mêmes un travail d'intertextualité :
Un conte peut en cacher un autre regroupe les parodies de six contes traditionnels " détournés avec férocité " : Cendrillon, Jacques et le haricot magique, Blanche-Neige et les sept nains, Boucle d'Or, le Petit Chaperon Rouge, Les Trois Petits Cochons. (lire la parodie).
Politiquement correct : Contes d'autrefois pour lecteurs d'aujourd'hui les parodies portent sur Le Petit Chaperons Rouge, Les habits neufs de l'Empereur, Les Trois Petits Cochons, Oustroupistache, Les trois codépendants boucs bourru, Raiponce, Cendrillon, Boucle d'Or, Blanche-Neige, Petit-Poulet, Le Roi-Grenouille, Jacques et le haricot magique et le Joueur de flûte de Hamelin. Cet ouvrage vise un lectorat d'adultes, à même d'apprécier les références politiques contenues dans les contes, contrairement au précédent qui est destiné aux enfants.

Les Trois Petits Cochons sur grand écran
Adaptation en dessin animé par Walt Disney
En 1933, Walt Disney réalise son premier dessin animé en couleur : Les trois petits cochons. Il obtient l'Oscar du meilleur court-métrage et sa chanson "Qui a peur du grand méchant loup ? C'est pas nous ! C'est pas nous !" de Frank Churchill est un véritable hit. Sortie en pleine dépression américaine, la chanson apporte au pays un peu d'espoir et d'humour. Le dessin animé sera un succès planétaire.
Chez Disney, contrairement au conte traditionnel où les personnages ne sont pas désignés par un nom, processus qui facilite l'identification, les trois petits cochons sont " baptisés " : Nif Nif et Nouf Nouf sont les plus jeunes frères qui construisent leur maison en paille et bois. Présentés comme deux petits paresseux, ils ne résistent pas au plaisir d'aller jouer et bâclent la construction de leur maison. Alors que Naf Naf incarne, lui, le sérieux, la maturité et le courage. Seules qualités susceptibles (à n'en pas douter) d'aider à tenir tête au loup. Et de lui opposer une vraie résistance. En V.O. leur nom est en relation avec l'instrument joué ou leur qualité, alors qu'en V.F. c'est l'allitération qui est privilégiée (comme pour les neveux de Donald Duck). Nouf-Nouf est Piper (" joueur de pipeau "), Nif-Nif Fiddler (" joueur de violon "), et pour l'aîné Naf-Naf Practical (" pragmatique "). [cf. album rose].
Adaptation par Tex Avery
Comme d'habitude Tex Avery exerce son humour grinçant et si efficace sur ce conte. Nous avons visionné sa version pastiche et " politiquement incorrecte ", Blitz Wolf (" le Très Grand Méchant Loup ", 1942), dans laquelle le loup revêt les traits d'Hitler. C'est une contribution à la propagande de guerre antifasciste, en pleine Seconde Guerre mondiale.
Ce film d'animation est un objet d'Histoire à plus d'un titre. D'abord, parce qu'il (re)présente à grands traits stéréotypés l'idéologie d'une époque. En effet, ce dessin animé1 daté de 1942 retrace un pan entier du conflit et de la guerre des nerfs qui opposa les démocraties aux dictatures. Le titre The Blitz Wolf fait sans doute référence à la tactique de blitzkrieg (guerre éclair) menée par les allemands au début de la guerre. Ensuite, parce qu'il révèle comment un outil de culture (le cinéma d'animation) peut être détourné de son rôle premier de divertissement destiné principalement aux plus jeunes pour devenir une arme redoutable de propagande alors destinée aux adultes dans le contexte de la deuxième guerre mondiale. The Blitz Wolf se manifeste comme une contribution originale à la propagande de guerre antifasciste : le mal est incarné par le personnage du grand méchant loup qui représente Hitler. Dans ce film, il existe en effet une intention, une idéologie, une interaction avec un message. Toutefois, Tex Avery prend des libertés avec le conte d'origine en le pastichant. En effet, dans le dessin animé, le message s'il correspond relativement bien au conte originel, s'en trouve actualisé par les temps de guerre. Le courage et le sens des responsabilités sont d'autant plus valorisés que la paresse et l'insouciance sont pointés comme des dangers face à la menace hitlérienne.
Dans la version de Tex Avery, les deux premiers petits cochons construisent leur maison le plus rapidement possible sans se soucier du conflit qui se prépare. Leur foi dans le pacte de non agression signé avec le grand méchant loup qui n'est autre que la caricature d'Hitler les incitent à rester insouciant et à goûter au plaisir de l'oisiveté. Le loup qui comme nous l'avons vu est associé à toutes les peurs est représenté par une caricature d'Adolf Hitler.
Les versions détournées et mélangées
Dans les dessins animés réalisés à partir de l'album Shrek , les Trois Petits Cochons, tout comme le Petit Bonhomme Pain d'Epice, les Trois Souris Aveugles, apparaissent comme personnages secondaires dans l'histoire.
Dans La véritable histoire du Petit Chaperon Rouge , les policiers qui assistent l'enquêteur sont des cochons.

Ethnofolklore du cochon
Mal aimé, le cochon est pourtant devenu un animal fort sympathique dans les albums et romans contemporains de littérature de jeunesse. N'oublions pas que le porc fait l'objet de nombreux tabous :

Hérodote signalait le pourceau comme un animal immonde donnant lieu à des tabous : "il prend son plaisir dans la fange et le fumier". Sexualité, fécondité, goinfrerie, saleté, il représente tous les excès de l'avalage à l'évacuation. Son pied fourchu évoque le diable. L'iconographie du Moyen-âge reprise par Félicien Rops associe le porc et la femme lubrique qui le chevauche .

Les cochons jouaient d'ailleurs un rôle d'éboueurs et servaient de nourriture aux malades des hôpitaux.
Dans les contes, quand l'ogre s'écrie : " Ça sent la chair fraîche " ou " ça sent le chrétien ", l'ogresse dans certaines versions populaires répond : " on a tué le cochon ". C'est aussi la réponse que donne le boucher au bon Saint Nicolas qui ne sera pas dupe. Ce sont bien les trois petits enfants qui sont à saler dans le saloir.
De nombreuses associations ont été faites entre l'enfant et le cochon. Le rouget du cochon était autrefois traité comme la rougeole de l'enfant. L'anorexie de l'enfant et du cochon au moment du sevrage maternel était traitée de la même façon, par une vente fictive au voisin pour éloigner ou déplacer le mauvais sort.
De nombreux faits pointent les analogies entre l'intérieur du corps de l'homme et du cochon et leur lubricité commune.

Les cochons dans la littérature de jeunesse
Présentation de quelques albums et romans ayant pour personnages des cochons (cf. biblio cochons). A noter dans tous ces exemples, les cochons sont sympathiques.
Comment conclure ?
Ce travail, passionnant en ce qui me concerne, n'est hélas qu'une ébauche de tout ce qui pourrait être mené. Il devrait bien entendu être plus poursuivi de manière plus complète tant pour l'analyse des adaptations de la version traditionnelle que pour les versions détournées, que ce soit au niveau du texte ou des illustrations. Ce sujet est celui que j''aurai voulu prendre pour mon mémoire de recherche, mais cela n'a pas été possible.
L'étude de ce conte et des nombreuses adaptations et interprétations qui en a été faite peut être transposé pour d'autres contes, de nombreux exemples de travaux de ce type existent sur Le Petit Chaperon Rouge qui est un conte très étudié.
La limite de cette recherche était fixée par le cadre dans laquelle elle s'inscrit (validation de séminaire - et non mémoire de recherche de master 2 - et durée de l'exposé) ainsi que les autres travaux auquel je dois consacrer mon temps (mémoire de recherche). Sa formulation et sa méthodologie ne sont pas vraiment "académiques" mais le reflet d'un amateurisme passionné qui, je l'espère, aura su vous intéresser.
Bibliographie ouvrages de référence
BETTELHEIM, Bruno. Psychanalyse des contes de fées. Paris : Robert Laffont, 1976. 408 p. (Réponses).
DELARUE, Paul et TENEZE, Marie-Louise. Le conte populaire français : tome troisième. Paris : G. P. Maisonneuve et Larose, 1976. 507 p.
DJENATI, Geneviève. Psychanalyse des dessins animés. Paris : L'Archipel, 2001. 224 p. Pocket, 11763.
LURIE, Alison. Il était une fois… et pour toujours. Paris : Rivages, 2004. 264 p. (Essais).
A consulter aussi si vous vous intéressez à l'illustration dans la littérature de jeunesse
Images des livres pour la jeunesse : lire et analyser / sous la dir. de Annick Lorant-Jolly et Sophie Van der Linden. - Thierry Magnier, 2006. - 232 p. ; 22 cm. - ISBN 2-86918-192-2 : 28 e.
Webographie
http://institutions.ifrance.com/pages_textes/anciens_numeros/institutions_n14/le%20loup%20anal.htm
http://fr.encarta.msn.com/text_941539858__1/Trois_Petits_Cochons_les.html
http://www.linternaute.com/histoire/motcle/199/a/1/1/disney.shtml
http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Trois_petits_cochons

 

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